On the Road again, dûment ravitaillés en mandarines séchées et en rouleaux de printemps tofu-gingembre chez Trader Joes (un bon point supplémentaire pour Santa Fe). Vous l’aurez peut-être senti dans ces derniers articles, on s’est un peu blasés, voire rodés (oh!) (je m’excuse, ça fait longtemps que je cherchais un endroit où la placer, celle-là) après des centaines de miles, de highways interminables, de plaines où pas le moindre coyote ne vient se jeter sous nos roues, de lanières de pneus éclatés sur le bas-côté, de pick-ups bourrins et de bikers à bandanas tête de mort (sans casque, ca froisse le bandana). Heureusement, passé Santa Fe, la route reprend du relief et des couleurs, redevient surprenante. Le Colorado, qui porte bien son joli nom, nous offre des rochers aux teintes rouges, ocres et gris profond (oui, Mesdames et Messieurs, le gris profond existe au Colorado, même le gris est une couleur dans cet Etat), et des forêts bien denses, des routes qui louvoient chaleureusement entre des montagnes accueillantes. On fait étape à Durango, consonances western et jazz manouche (fantasmées) et là, SOUDAIN, l’Ours de l’Ouest, le nouvel animal totem de Bachir, se manifeste avec une force d’attraction irrésistible sous la forme d’une splendide casquette bleue et or.
La puissante magnétique de la casquette se transmet immédiatement à Bachir dont l’âme se teinte d’hybridité Etats-Zuni (haha-haha) sous la double influence culturelle de la casquette et de l’ours. Nous courrons chez Starbucks acheter ds grands cafés Americano dans des gobelets à emporter et du banana cake. Hommes et femmes regardent Bachir avec admiration. Nous nous sentons, enfin, intégrés.
Avant l’épiphanie durangienne, nous avons visité les ruines d’Aztec (11e-13e siècle), site qui marque les prémices de la culture Pueblo (des peuples sédentaires du sud-ouest des Etats-Unis actuels). « Aztec », car les colons espagnols arrivés jusque là depuis le Mexique tendaient à ne voir dans tous les sites et les peuples qu’ils croisaient sur leur droit chemin (et s’empressaient de convertir ou de décimer) qu’une seule et même culture homogène. Une grande Kiva (salle circulaire creusée dans le sol, à laquelle on accède par le toit, et qui servait de lieu de rassemblement ou de cérémonie, comme c’est encore le cas aujourd’hui chez les Hopi) a été restaurée au cœur de ce que l’on croit être un centre d’activités important pour les différents Pueblos alentours. Le site donne corps à une vision bien différente de celle des Indiens nomades à tipis véhiculée par les Westerns et autres aventures de Zakari.
Après une douce nuit au Country West Motel de Mancos, à peine troublée par les tribulations d’une araignée intrépide, avec ses vilaines pattes tricoteuses, sur mon visage d’arachnophobe endormie (mais bientôt réveillée), nous nous élevons à pleines roues vers le plateau de Mesa Verde, autre site Pueblo fabuleux, au bout d’une route bordées d’arbres dessèchés, tout enroulés sur eux-mêmes suite à un incendie. Près de 300 habitations ou ensembles d’habitations y ont été construits aux 12ème et 13eme siècles dans des « alcôves » sous le rebord des falaises. Nous commençons par Spruce Tree House, où l’on peut descendre dans une petite kiva, et d’où part le « Petroglyph Trail », une randonnée splendide à fleur de roches sculptées, mouvantes, de passages étroits taillés dans des dégradés de blanc-jaune qui sont des paysages à eux tout seuls. Nous devrons malheureusement finir le parcours (deux heures en tout) en courant sous le soleil implacable de midi pour arriver à temps à la visite guidée de Cliff Palace, après avoir déjoué hardiment le piège tendu par un serpent sournois (comme il se doit).
Ranger Sally, petite souris verte engoncée dans son pantalon trop grand, nous présente avec verve les merveilles architecturales de Cliff Palace, site qui aurait abrité plusieurs centaines d’habitants sous le rebord ventru d’une falaise impressionante. On y accède par des échelles et des escaliers taillés dans la roche. La plupart des questions restent en fait sans réponse, car tous ces sites ont été désertés brutalement au 13e siècle, provoquant la migration des « Ancestral Pueblos » vers l’Arizona et le Nouveau Mexique, où certains de leurs descendants vivent encore aujourd’hui. Alors que la visite se termine, un orage torrentiel éclate. La pluie dégringole en rideau depuis le plateau qui surplombe Cliff Palace, dont les anciens occupants auraient alors sans doute sortis des récipients pour collecter l’eau. Des éclairs zèbrent le canyon devant nous, le talkie walkie de Ranger Sally annonce qu’un éclair à frappé le site voisin de Balcony House, un incendie est déclaré! C’est un petit incendie, heureusement, comme il y en a des dizaines chaque été, nous rassure Ranger S. Devant la falaise brouillée de pluie, nous nous sentons suspendus dans un temps sans écriture et sans citernes, où de tels orages sont des puissances à la fois menaçantes et vitales. Heureusement, nous avons nos réserves de mandarines séchées.