In love with Santa Fe (21-23/8)

Des maisons en adobe colorée, des portails en bois sculpté et métal ouvragé, des brassées de laurier rose, des guirlandes de piment rouge, des cyclistes, des trottoirs avec des piétons… C’est un enchantement de traverser Santa Fe après de longues heures d’autoroute bordée de maisons préfabriquées en plastique et de quelques stations service délabrées. Par chance, nous arrivons la veille du Santa Fe Indian Market, organisé par la Southwesten Association for Indian Arts, grand rendez-vous annuel des artisans et des artistes Navajo, Hopi, Pueblos, Zunis, et autres peuples du sud-ouest des Etats-Unis actuels. Chaque dernier week-end d’août, ils/elles viennent vendre leurs créations à des collectionneurs acharnés, qui se pavanent dans les rues couverts de leurs plus belles acquisitions des années passées (soixantenaires bronzés en combo santiags, blue jeans, gros ceinturon d’argent ouvragé, bagues de turquoise, chemise ouverte et colliers de pierres semi-précieuses, Stetson et Ray-ban, si-si; les femmes arborent robes de perles, châles plus ou moins « ethniques », et énoooormes bijoux) mais aussi à des amateurs (comme nous! ouiiiii) et à des musées. Argent et turquoise dominent, fruit d’échanges anciens entre orfèvres Navajo et joailliers Hopi. Certaines pièces sont d’une beauté impressionnante, comme les bracelets de Carl et Irene Clark, composés de milliers de minuscules pierres taillées, assemblées au cours de plusieurs mois de travail pour représenter des divinités (ou esprits) Navajo.

On découvre la signification et l’usage des fétiches Zuni et des Kachinas Hopi en discutant avec leurs producteurs. Bachir fait une rencontre déterminante avec le dieu gardien de l’Ouest, l’ours, marqué d’une flèche qui symbolise l’éclair, sa force et sa vitesse. Oui, bien sûr, il y a dans ce marché un coté exotique, touristique et folklorique. Mais c’est aussi là que certaines grand-mères potières ou tisserandes gagnent l’argent qui leur permettra de vivre plusieurs mois, sans passer par l’intermédiaire de galeries qui sont le plus souvent tenues par des Blancs. Des contradictions (ou forces complémentaires) qui semblent faire partie inhérente de l’économie de ces artistes et artisans, venus en famille, dans une ambiance à la fois commerciale (on sent que certains enjeux sont importants, des négociations, des luttes d’influence ont lieu entre collectionneurs et galeristes aux dents blanches et pointues) et joyeuse (retrouvailles annuelles entre amis et collègues qui ne se voient parfois qu’à cette occasion).

Après avoir assouvi et notre curiosité et notre fièvre consommatrice (cadeaux de Noël pour toute la famille: Check. Mais pas de bracelets Clark, hein, c’est plusieurs mois de salaire de curatrice, ça, hélàs), nous escaladons la colline pour marquer cette expérience du sceau de la caution scientifique au Museum of Indian Arts and Culture (Laboratory of Anthropology), où une exposition déroule les différentes significations associées à la turquoise. On y apprend notamment que ce n’est pas forcément la pierre en elle-même qui fait sa valeur symbolique, fertile et protectrice, mais sa couleur. A l’origine, les « fausses turquoises » étaient donc considérées comme une manière toute aussi valable de bénéficier de ses bienfaits – notamment quand, dépossédés de leurs mines par les Américains, les peuples natifs durent se rabattre sur d’autres matériaux pour créer leurs bijoux.

Santa Fe, c’est aussi la porte d’entrée vers l’inspiration minérale du Nouveau Mexique pour Georgia O’Keeffe, dont les peintures étranges ne cessent de me fasciner (j’ai un faible pour ses visions de fleurs si charnelles – comme Series I White and Blue Flower Shapes de 1919 – qui contrastent tant avec les portraits d’elle (plus tardifs) en ascète catholique, coiffée dun voile noir, visage buriné par le soleil du désert). Un musée un peu sérieux lui est consacré, où l’on parvient toutefois à se noyer brièvement dans quelques toiles, comme la série des « Pelvis« , des vues de ciels du désert depuis ce qui semble une orbite, des trous d’ossements ramassés par l’artiste autour de sa maison d’Abiqiu.