Des champs de pétrole, des stalactites qui s’élèvent lentement à 230m de profondeur sous la surface de la terre, et les preuves photographiques de vols d’UFO dans le ciel du Nouveau-Mexique… Si nous avions jusqu’à présent exercé notre oeil et notre cerveau à une perception étirée de l’espace horizontal, nous voilà aujourd’hui plongés dans un voyage géologico-cosmique qui s’élargit brusquement à trois, voire quatre dimensions, des entrailles de la planète jusqu’aux mystérieux confins de l’univers. Je n’irai pas plus loin dans ce salmigondis topographique, mes capacités mathématiques se limitant au calcul des 20% de pourboire à ajouter à la note des restaurants (de tête, si si, de tête), mais vous voyez un peu l’idée. Sinon, Bachir vous expliquera.
Déjà quelques jours auparavant, alors que nous roulions vers le Texas, au milieu de terres désespérément arides au bout du bout du Nouveau Mexique (dernière ville avant des miles: Socorro, « au secours », voilà voilà. Ville suivante que nous atteignons enfin, affamés, presqu’à cours d’essence: Carizzozzo, on n’y croyait plus. Le diner où nous avalons un genre de burger et des genres de beef tacos est tout joliment décoré pour Halloween 2003, le petit garçon qui mange des ailerons de poulet frits au comptoir à 15h tellement il s’ennuie, et vient prendre notre commande, parle un Anglais de langue inconnue. Mais je digresse, vous devriez relire le début de la phrase qui précède cette parenthèse avant de poursuivre:) nous avions pris conscience de cette dimension verticale de l’espace — auquel nous n’avions jusqu’à présent superposé qu’une dimension historique. Juste avant Carizzozzo*, nous traversons en effet Carrizozo Malpais, les restes figés d’une coulée de lave qui s’étend sur des kilomètres de long, paysage noirci comme du bitume, abrupt et torturé, comme si la terre avait été labourée jusqu’à son noyau et restée inexploitée par quelqu’erreur d’inattention divine (je me permets ce petit lyrisme religieux, vu le nombre d’églises dans le coin). Le responsable en est en fait un volcan voisin qui porte le nom amical de Jornada del Muerto.
Précisons que Carrizozo, entre autres coups de chance, est située à 50 miles de Trinity Site, où la première bombe nucléaire a été testée en juillet 1945. La ville a ainsi reçu une part abondante des bienfaits du champignon atomique subséquent. Elle est également bordée par un fragment du White Sands Missile Range, et un panneau sur la Highway 380 nous prévient que la route risque à tous moments d’être fermée en cas de d’exercice de tirs. Apparemment, c’est aussi une piste d’atterrissage de secours pour les navettes de la NASA. On n’est pas très loin de Roswell, vers où nous roulons en ce jeudi 20 août après notre détour texan.
Pour sortir du Texas, justement, nous avons traversé des zones d’exploitation pétrolière tristes à mourir, le long d’une mauvaise route où défilent camions-citernes, pick-ups citernes et autres machines étranges destinées à fouiller le ventre de la terre pour en extraire le sombre suc. Imaginez des ranchs privés s’étendant à perte de vue, avec en guise de troupeau de petites pompes d’allure métallique et malfaisante qui plongent en rythme vers le sol comme des parasites bornés. Chacun ses petites pompes, sa petite raffinerie couronnée de flammes orangées, ses petites citernes, et autour de vastes étendues de terre désolée, et les camions trop rapides. « Exploitation des ressources », cette expression si souvent lue prend forme concrète dans ce coin reculé du Texas, et ce n’est pas une forme agréable.
Autre ressource souterraine, le guano, ou c*c* de chauve souris. C’est en recueillant ce fertilisant naturel pour le vendre que des agriculteurs du Nouveau Mexique découvrirent l’entrée des cavernes de Carlsbad, où nichent encore aujourd’hui des milliers de chauve-souris. On peut apparemment observer leur envol spectaculaire au crépuscule, mais nous n’aurons pas cette chance. La descente à pied vers les tréfonds de la caverne, par l’entrée qui s’engouffre presque à la verticale dans les entrailles humides et fraiches de la terre, est impressionnante. On s’enfonce dans un dédale sculpté de dômes, de draperies, de lacs ingénieusement éclairés pour faire ressortir les teintes de la roche (parfois presque chair, Alien-style) tout en rappelant que sans les câbles qui courent discrètement le long des parois, nous serions dans le noir le plus complet. Les panneaux explicatifs nous invitent à reconnaître des formations géologiques baptisées « popcorn » ou encore « pailles de soda » par des scientifiques gourmets (ou soucieux de pédagogie). Au bout d’un mile de descente, nous progressons bouche bée dans la caverne proprement dite, intimidés par la révélation de ces mondes souterrains construits au gré d’effondrements massifs et de goutte-à-gouttes millénaires.
Quant à Roswell, étape potache vers Santa Fe, pas grand chose à en dire. L’International UFO Museum and Research Center est vraiment naze, même avec beaucoup de second degré, ou un penchant prononcé pour la science-fiction, ou pour la muséologie, et au bout de deux boutiques de souvenirs moches, on reprend la route un peu frustrés. Au bord de la Highway, un panneau bienveillant nous conseille de ne pas prendre d’auto-stoppeurs: prison à proximité.
* The name of the town is derived from the Spanish vernacular for reed grass (Carrizo), which grew significantly in the area and provided excellent feed for ranch cattle. The additional ‘zo’ at the end of the town name was added to indicate abundance of Carrizo grass.[2] The town is now often referred to as ‘Zozo.[3]