Arcosanti: brouillon et ruines (9 et 10/8)

Les mots sont peut-être un peu forts. Mais c’est le sentiment que nous avons eu au cours des quelques seize heures que nous avons passées à ARCOSANTI. J’ai découvert cette « ville », ou plutôt cet exercice, cet embryon de ville grâce au film d’Aurélien Froment, The Apse, the Bell and the Antelope (2005).

La construction d’Arcosanti a débuté en 1970 sous la houlette de l’architecte italien Paolo Soleri, décidé à mettre en pratique sa théorie de l’arcologie (architecture + écologie). Grâce aux fonds provenant de la vente de cloches artisanales en bronze et en céramique qu’il réalise avec sa femme dans leur atelier de Phoenix, Cosanti, des groupes d’étudiants entament l’érection des premières « apses », sortes de demi-coupoles de béton dont les modules sont coulés à la façon desdites cloches. La « ville » (un café, un auditorium en plein air, une fonderie, un atelier de céramique, une salle de musique, une piscine, quelques dizaines de logements) est censée tirer parti de sa structure pour optimiser les besoins en énergie et en espace, et les relations sociales. Surtout, elle s’est érigée en réaction à la prolifération des automobiles et au modèle des « suburbs », fondées sur un éclatement de l’espace et des liens humains.

Pour mieux comprendre ce que veut être Arcosanti, regarder cette vidéo et lire quelques articles du site Internet.

Soleri est décédé depuis 2 ans lorsque nous visitons Arcosanti, et l’on ne peut pas s’empêcher de penser que le projet, encore un brouillon, incarne déjà presque une ruine. Une soixantaine de personnes vivent et travaillent à Arcosanti cet été (elles sont un peu plus nombreuses en hiver, lorsque les températures du désert sont plus clémentes), et forment une communauté de décision et d’action, sous la houlette d’un board. A l’heure du dîner dans la cafétéria, quelques-unes d’entre elles avalent rapidement leurs lasagnes. La jeune fille qui tient la caisse ce soir-là porte une robe de type médiéval et ses écouteurs d’I-pod vissés sur les oreilles. Un couple d’Italiens nous salue chaleureusement.

Arcosanti est à la fois un modèle et une forme de vie, une utopie qui se donne à voir et qui tente de « fonctionner » tout à la fois, c’est-à-dire de travailler à sa contruction, dans une perspective double: continuer de tendre vers le « master plan » dessiné par Soleri, et répondre à des besoins contemporains et vitaux: développer l’activité touristique et commerciale par exemple, ou adapter le projet à une conception de l’écologie qui a amplement évolué depuis les années 70. Arcosanti s’élabore ainsi sur un terrain mouvant de contradictions, et tandis que le projet d’une librairie se prépare, les fissures altèrent déjà le béton cheap utilisé pour construire les premiers bâtiments. Une équipe de tournage emprunte la piscine pour les besoins d’un film de zombies, piscine dont les fondations encore apparentes surplombent des bétonneuses rouillées et un aride panorama désertique. Vue de dos, depuis la route de terre qui y mène, la « ville » ne paye pas de mine, parking de terre où rouille un camion militaire et coulisses de béton. Elle est tout entière tournée vers le désert, c’est-à-dire le spectacle éphémère de ses magnifiques apses colorées et de l’image unitaire renvoyée depuis le point de vue aménagé exprès, sur la colline en face, où l’on ne peut se tenir qu’un moment.

A la cafétéria, les mêmes petites carottes pré-découpées en cylindre que l’on trouve dans tous les supermarchés US. Une résidente a essayé de faire du vin à partir de la petite vigne qui pousse derrière l’auditorium. Apparemment ça n’a pas marché. Une somme d’initiatives individuelles construit ainsi la trame hétérogène d’Arcosanti. Y dormir une nuit ne suffira certainement pas à appréhender la complexité et l’étendue de ce montage. Le sentiment d’entropie, celui de séjourner dans une ruine en devenir, serait peut-être atténué par une cohabitation plus approfondie. Et la visite de Cosanti, l’atelier-maison de Soleri à Phoenix, le lendemain, donne de la couleur à ses visions.