Voilà une bonne dizaine de jours que nous n’avons pas vraiment eu d’accès à Internet (Bachir a survécu) et nous tenons tout d’abord à rassurer nos fidèles lectrices et nos avides lecteurs: nous n’avons pas été empoisonnés par l’arsenic déversé dans la rivière Colorado par l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement; nous n’avons pas été foudroyés par un éclair néo-mexicain; nous n’avons pas déclenché un missile en stand-by depuis la Guerre Froide par inadvertance ; et Bachir a tué toutes les araignées avant qu’elles ne s’approchent à moins d’un mètre de moi. Les principaux dangers de ce voyage, finalement, sont l’excès de hamburgers et la succession effrénée de paysages hyperboliques sur fond de chaleurs quarantenaires (en degrés Celsius) et de cactus variés.
Mais revenons en arrière, samedi 8 août 2015. Nous avons dormi dans une petite « cabin » de camping, à quelques 60 miles du Grand Canyon, dernière étape véritablement touristique de ce début de voyage avant de bifurquer vers les territoires tout aussi mythiques mais plus confidentiels de l’art contemporain (je m’étais promis d’écrire un post court pour rattraper le retard, nous voilà mal barrés).
La veille, nous avons croisé la route 66, la « Mother Road ». Si une bonne dizaine de villages berrichons revendiquent la qualité de « véritable centre de la France », tout autant de villes s’intronisent « Birthplace of the Mother Road » et se déguisent en décor de Western, devantures chargées de mugs « Road 66 ». Nous buvons toutefois un café pittoresque sur une petite terrasse au milieu du nulle part de Seligman, à côté d’une tablée de vieux Ranchers et Rancherettes pur jus qui ressassent leur émerveillement à l’apparition du micro-ondes, armés de Stetson, d’I-phone, de tapettes à mouches et de vases de Pepsi.
Mais, le Grand Canyon, donc. Imaginez, à votre droite, un paysage époustouflant, un immense sillon de beaucoup de miles de large et de beaucoup beaucoup de miles de long, dans lequel s’enfoncent de petits sentiers et les éclats bruns-jaunes du Colorado. Et à votre gauche, une route goudronnée où passent, toutes les 10 minutes, les bus qui charrient les dizaines de touristes trop paresseux pour marcher le long du South Rim Trail (un chemin goudronné ponctué de nombreux bancs). Malheureusement, nous n’avons qu’une journée et obéirons aux injonctions des Rangers et des panneaux: n’essayez pas de descendre dans le Canyons en moins de deux jours (et: « Don’t try to Swim in the Colorado River: YOU WILL PERISH! » — ça a le mérite d’être clair.). Nous nous contenterons donc de notre condition de touristes du week-end, fondus dans la masse, collectivement éblouis à chaque « Vista Point », tandis que les condors planent d’un air serein. La prochaine fois, on le fait en rafting.
De retour vers notre petite « cabin » de bois joli, aux murs décorés de fausses peaux peintes de têtes de loups, d’aigles et de princesses indiennes à yeux bleus et à plumes dans les cheveux (comme sur un t-shirt des années 90), nous faisons physiquement connaissance avec THE MONSSOON SEASON en Arizona: d’abord nous distinguons au loin un rideau d’eau, et les feux stops de quelques voitures qui freinent les unes après les autres. Une cataracte de pluie s’abat soudain sur nous, et malgré tous les efforts de nos valeureux essuie-glaces, pendant quelques secondes nous ne verrons plus RIEN. Notre vision ainsi purifiée, nous voilà prêts à affronter d’un regard neuf les restes de poulet de la veille et les paysages fantasmagoriques du lendemain.