Miss Champignon Atomique (7/8)

De 1951 à 1992, pas moins de 928 tests d’explosions atomiques furent officiellement réalisés sur le Nevada Test Site, une zone militaire protégée de 1800 km carrés située dans le désert à une centaine de kilomètres de Las Vegas. Dans les années 50, une centaine de tests furent effectués en plein air, avant que des infrastructures souterraines ne soient construites. Les secousses se répercutaient jusqu’à la ville de Vegas, faisant parfois exploser les vitres des casinos. Contrairement aux craintes locales, les explosions ont amplement contribué à booster le tourisme, et le sightseeing de champignons atomiques était très populaire dans les années 50, lorsqu’une élection de Miss Atomic Mushroom se tenait chaque année.

Le National Atomic Testing Museum de Las Vegas (géré par le Smithsonian Institute) retrace cette glorieuse histoire avec une absence impressionnante d’alternative critique. Le musée salue l’innovation scientifique (voir le film A is for Atom), le génie militaire, le déploiement technologique et sécuritaire, mais les problèmes éthiques, humanitaires ou environnementaux sont à peine effleurés. Cela rend en fait ce musée doublement passionnant (et effrayant): pour qui n’est pas aveuglé par le patriotisme états-unien, la masse de documents et d’artefacts, et la réthorique qui les accompagne forment un récit fascinant. La page anglophone de Wikipedia donne une toute autre vision de l’histoire du site, par exemple: alors que le musée mentionne à peine d’éventuelles protestations civiles, Wikipedia précise qu’entre 1968 et 1994, pas moins de 536 manifestations anti-nucléaires se sont tenues au NTS, impliquant 37 488 participants et donnant lieu à… 15 740 arrestations ! Le musée préfère présenter des discours et des lettres de hauts responsables militaires insistant sur la nécessité de rassurer le public sur l’efficacité et la bienfaisance des tests pour la sécurité nord-américaine.

Nombre d’objets, d’images montrent la manière dont la bombe nucléaire pénètre la culture populaire américaine pendant la Guerre Froide, à travers comics et films mais aussi les exercices effectués dans les écoles ou sur les lieux de travail (il y a un très bon épisode de la série Masters of Sex autour de ça, voui voui), et le déploiement d’une obsession pour la sécurité. En parallèle de l’exposition Nous ne notons pas les fleurs à Bétonsalon en 2010-11, le collectif Le Silo avait programmé deux belles séances autour du désert comme espace de projection, de test, d’exercice, et avait notamment montré le fascinant film Operation Cue (1955), qui étudie les effets d’une explosion atomique sur un habitat domestique nord-américain. Le musée fait quand même preuve d’un peu de second degré en exposant une liste des éléments contenus dans un kit de survie tirée du film satirique Dr Folamour: « one miniature combination Russian Phrase Book and Bible », « three lipsticks »…

Hiroshima et Nagasaki sont présentées comme des expériences ayant suscité la curiosité des scientifiques et le développement conséquent du NTS. Malgré des images assez violentes, les attaques nucléaires infligées aux deux villes (dont c’est le 70ème anniversaire cet été) sont narrées comme ayant permis d’éviter les milliers de pertes de vie américaines qu’auraient causé une invasion traditionnelle. C’est le point de vue américain qui est mis en avant sans états d’âme dans la narration du musée. Un petit panneau pédagogique s’intitule  :

Alternatives to Dropping an Atomic Bomb:

1. Invasion (…)

2. Negotiation (…)

et sous-entend que la bombe atomique était le choix le plus sûr…

Une partie de l’exposition revient aussi sur le choix du site, notamment sélectionné en raison de sa faible densité de population. Et là, une carte montre que l’emplacement du site se trouve en plein cœur des réserves amérindiennes Shoshone et Paiute! Bien sûr, les effets des tests sur l’environnement et la santé ne sont abordés qu’obliquement, à travers la célébration des techniques de nettoyage et de protection de pointe mises en œuvres sur le site. Là encore, le ton de l’article Wikipedia est nettement différent.

Un dernier aspect, tout aussi passionnant, et qui touche à nouveau au langage. Le musée présente une liste de termes soigneusement choisis par des agences officielles US pour nommer les test atomiques: des mots qui ne devaient avoir aucune « sensibilité sociale » (raciale, etc). On y trouve ainsi beaucoup de noms de fromages…