Le terrain de golfe du Diable (5-6/8)

J’ignore s’il existe un syndrome répertorié, type syndrome de Stendhal ou syndrome de Paris, pour décrire l’effet des paysages nord-américains sur les âmes téméraires qui les traversent. On pourrait l’appeler Syndrome de Charley (cf post précédent), même si le caniche bleu éponyme qui accompagne Steinbeck dans son périple à travers les Etats-Unis ignore dignement les paysages stupéfiants décrits par son maître. Les symptômes du syndrome de Charley sont l’ébahissement du aux chocs esthétiques successifs, la perte des repères spatio-temporels, suivis d’une forme de fatigue mentale et physique, accentuée par la chaleur. On pense à celles et ceux qui traversaient ces immensités à pied ou à cheval. Au moins avaient-ils davantage le temps d’apprécier les transitions (à l’envers) entre la luxuriance des forêts de Sequoia Park, le versant Est décharné de la Sierra Nevada (moignons d’arbres brûlés, rivière asséchée, buissons gris cendre), puis la plaine immense, poussiéreuse, balayée par des vents brûlants, qui annonce la Death Valley. On a croisé un lac quasi asséché, entouré d’aires de récréation fantômes (des pontons, des toboggans à des centaines de mètres de la première goutte d’eau), des ranchs poussifs, des ruines de cabanes et de maisons abandonnées, des trailers rouillés, où vivent on ne sait trop comment, dans ce désert de poussière, quelques familles. En voiture, tous ces paysages se succèdent brutalement. On lit des noms sur la carte, on pense qu’on approche d’une ville, mais ce n’est qu’une station service, ou parfois même un ranch abandonné au croisement à angle droit de deux routes qui s’étendent à l’infini dans la plaine.

Alors on pousse jusqu’à Lone Pine pour avaler un burger avant d’entrer (mélodie d’harmonica) dans la Vallée de la Mort. Lone Pine s’enorgueillit d’avoir accueilli le tournage de moult westerns et cultive son petit look Far West, photos de John Wayne à l’appui.  On passera la nuit sur les contreforts de la Death Valley, non sans avoir au préalable acheté DOUZE bouteilles d’eau pour survivre aux chaleurs mortelles de ce lieu mythique. Notre motel porte le nom ronflant de « Panamint Springs Resort ». Dans notre minuscule chambre, la climatisation fait plus de bruit qu’un pick-up Chevrolet sur une route de montagne: qui eût cru que l’on puisse quasiment mourir de froid dans la Death Valley? Les punaises, par contre, ça ne les dérange pas.

À ce point de notre voyage, je dois dire quand même que la Death Valley, c’est surfait. Nos semelles n’ont pas fondu, nos plaquettes de frein non plus, et aujourd’hui à Tucson il fait AUSSI CHAUD, et hier dans la banlieue de Phœnix il faisait ENCORE plus chaud, avec presqu’aussi peu de distributeurs de boisson à portée de main. Pourtant, le petit journal du visiteur disponible au poste de Rangers qui marque l’entrée du parc s’intitule gracieusement :

SURVIVING SUMMER IN DEATH VALLEY

C’est vrai que la force poétique du langage, celui des signes routiers par exemple, et surtout celui des noms donnés aux routes et aux sites, est pour beaucoup dans le mythe qui entoure le territoire nord-américain. Dans et autour de la Vallée de la Mort on trouve:

Furnace Creek (la crique de la fournaise); Devil’s Golf Course (le terrain de golf du diable, on n’y est pas passé mais je vous conseille de chercher des images sur Internet); Hells Gate (la porte de l’Enfer); Deadman Pass (le passage du mort); Ash Meadows (la clairière de cendres); etc, etc. Entre Sedona et Arcosanti avant-hier, nous avons passé l’embranchement de la DEWEY/HUMBOLDT Road, les connaisseurs apprécieront.

On trouve aussi ZABRISKIE POINT et c’est fou ce qu’un film peut faire à un nom, la force d’évocation de ce nom qui recouvre complètement la réalité du lieu qu’il désigne. Car ce n’est pas le sentier des mules qui charriaient le borax depuis les mines de la Vallée qui s’étend sous nos yeux mais, projetées sur les roches splendides, les images d’une villa qui explose au son de la musique de Pink Floyd.